Il est temps de parler de la santé mentale des entrepreneures et entrepreneurs canadiens
Lecture de 5 minutes
Si vous êtes propriétaire d’une entreprise, voici un portrait qui vous semblera sans doute familier: vous êtes chaque jour tiraillé par une multitude de priorités – prendre des décisions, gérer des personnes et trouver des capitaux et des ressources pour pouvoir continuer à exploiter votre entreprise. Vous êtes irritable, vous négligez des détails et des choses vous échappent. Vous êtes en panne d’énergie, mais vous n’en parlez à personne de peur d’inquiéter votre famille et votre personnel.
Puis un jour, les choses se replacent. Vous réalisez une grosse vente ou décrochez un contrat lucratif. Pendant un moment, vous retrouvez votre énergie et vous vous sentez bien, mais cela ne dure pas. Tôt ou tard, le cycle recommence.
Les entrepreneures et entrepreneurs sont des gens passionnés. Elles et ils ont tout donné pour réaliser leurs rêves et portent sur leurs épaules le poids de l’entreprise, de leur personnel, de leur clientèle, voire de leur communauté, sans compter les responsabilités qu’elles et ils doivent assumer sur le plan personnel. Pour beaucoup, cela a des conséquences néfastes. Malgré les signes de stress, de fatigue, de dépression et d’épuisement professionnel, seulement 6 % ont recours à de l’aide professionnelle. Ce problème bien réel et urgent vaut la peine qu’on s’en soucie.
La santé et le succès vont de pair
BDC est la banque des entrepreneures et entrepreneurs au Canada. Elle a à cœur de voir les propriétaires d’entreprise réussir et s’épanouir. C’est notre raison d’être en tant qu’organisation, mais nous constatons que leur réussite demande plus que du financement et des conseils. Pour que les entrepreneures et entrepreneurs réussissent, il faut commencer à prendre la santé mentale au sérieux.
En 2019, nous avons fait équipe avec l’Association canadienne pour la santé mentale dans le cadre d’une initiative de recherche inédite axée sur la santé mentale propriétaires d’entreprise. Depuis le mois d’août 2020, nous menons des enquêtes régulières pour savoir comment se portent les entrepreneures et entrepreneurs en temps de pandémie. Nous avons parlé pendant la dernière année à quelque 500 propriétaires de petites entreprises dans tout le pays pour voir comment elles et ils se sentent au fur et à mesure que les choses évoluent.
Qu’est-ce qui stresse les propriétaires d’entreprise?
Notre enquête de mars 2021 montre que les trois principales sources de stress sont le flux de trésorerie, les effets de la pandémie sur les dépenses et le maintien à flot de l’entreprise. Les propriétaires d’entreprise craignent de ne pas pouvoir générer suffisamment de revenus pour réaliser un bénéfice et couvrir les dépenses.
Elles et ils s’inquiètent aussi davantage des risques que pose la COVID-19 pour la santé de leur famille et des membres de leur personnel (cette proportion de répondantes et répondants est passée de 36 % en août 2020 à 42 % en mars 2021). Elles et ils ont signalé une augmentation de la solitude et de l’isolement (de 21 % à 28 %), ainsi que du stress lié à leur capacité à trouver des capitaux (le résultat ayant grimpé de 13 % à 22 %).
Il est intéressant de souligner que les résultats de notre enquête de mars ressemblent à ceux d’août dernier, lorsque les cas étaient moins nombreux et les restrictions plus souples. À titre d’exemple, deux tiers des entrepreneures et entrepreneurs disent qu’elles et ils avaient l’impression de maîtriser la situation en mars, par rapport à seulement 57 % en novembre dernier.
Toutefois, la situation évolue si rapidement que nous obtiendrions probablement des résultats nettement différents si nous menions l’enquête aujourd’hui. Pour illustrer les choses, disons que le niveau de santé mentale des propriétaires d’entreprise est comme un élastique attaché à la situation générale de la pandémie; il s’étire et se contracte au fil des mois, au rythme de l’évolution des cas et de l’allègement et du resserrement des restrictions. Mais à mesure que le temps passe et que le stress demeure, les entrepreneures et entrepreneurs risquent l’épuisement de leur capacité à rebondir.
Quels groupes sont les plus touchés?
Nos enquêtes montrent, l’une après l’autre, que certains groupes risquent plus que d’autres de présenter des problèmes de santé mentale. Les entrepreneures et entrepreneurs qui dirigent de nouvelles entreprises ainsi que celles et ceux dont l’entreprise est encore touchée par la COVID-19 font davantage état de problèmes de santé mentale. Les femmes et les membres des minorités visibles sont aussi plus susceptibles d’être touchés.
Les entrepreneures, par exemple, ont systématiquement rapporté des taux de stress beaucoup plus élevés que leurs homologues masculins. Par rapport aux hommes, les femmes souffrent davantage de perturbations du sommeil, de sentiments d’incertitude et d’inaptitude, voire d’épuisement professionnel. Elles exploitent en outre des entreprises dans les secteurs les plus touchés, dont le commerce de détail, les services de mieux-être et l’hôtellerie.
Une lueur d’espoir: les propriétaires d’entreprise prennent mieux soin d’eux-mêmes
Autant j’aimerais qu’il soit facile de demander de l’aide, autant je suis consciente que ça ne l’est pas. Nous avons découvert que les trois principaux obstacles qui empêchent les entrepreneures et entrepreneurs de le faire sont la stigmatisation sociale, les coûts et l’accès. Les hommes sont plus nombreux à dire qu’ils ne demandent pas d’aide en santé mentale parce qu’ils craignent pour leur réputation (17 % par rapport à 8 %), tandis qu’un plus grand nombre de femmes indiquent qu’elles ne demandent pas d’aide à cause des coûts y étant associés (40 % par rapport à 30 %).
La lueur d’espoir dans tout cela est que lorsque nous avons interrogé les gens la première fois en 2019, les répondantes et répondants pensaient à peine à la notion du bien-être mental. Dans l’enquête de mars 2021, nous avons constaté que les entrepreneures et entrepreneurs prêtent davantage attention à leur santé mentale: 50 % ont dit s’occuper de leurs problèmes de santé mentale et les gérer efficacement.
Nous avons toutes et tous un feu vert et un feu rouge dans nos vies. Si ce que nous faisons nous cause plus de stress et de fatigue que de satisfaction ou de plaisir, il peut être temps de s’arrêter, d’analyser ce que nous faisons et d’y changer quelque chose. J’espère que les propriétaires d’entreprise continueront à s’améliorer en étant plus attentifs à ces signaux et à ce qu’ils révèlent.
Mettre fin au tabou
Notre objectif est de braquer le projecteur sur ce problème en brisant la stigmatisation. BDC offre des ressources gratuites que les gens peuvent consulter dans notre section sur le bien-être des propriétaires d’entreprise.
J’encourage tout le monde, et pas seulement les propriétaires d’entreprise, à demander de l’aide lorsqu’elles et ils en ressentent le besoin. Si vous voulez vous confier, il y aura très certainement quelqu’un pour vous écouter et pour vous aider, que ce soit un parent ou une amie ou un ami.
Par nature, les propriétaires d’entreprise sont résilients. Il est impossible d’exploiter une entreprise sans une bonne réserve de résilience. C’est ce qui permet aux entrepreneures et entrepreneurs d’accomplir de grandes choses mais, au bout du compte, ce sont des humains comme vous et moi, pas des super-héroïnes et super-héros. Et en tant qu’êtres humains, nous sommes toutes et tous vulnérables d’une manière ou d’une autre.
Nous devons changer la perception que les propriétaires d’entreprise sont des «visionnaires infatigables» ou des «héros solitaires» et leur permettre de montrer leur vulnérabilité et de demander de l’aide en cas de besoin, sans crainte et sans honte. Nous pouvons briser la stigmatisation des problèmes de santé mentale en unissant nos voix et en nous exprimant ouvertement à ce sujet.