Comment cet entrepreneur a bâti un chef de file des produits funéraires en Amérique du Nord
Lecture de 6 minutes
Alain Dumont avait du mal à se voir à la tête de l’entreprise familiale de fabrication de cercueils de bois située à Victoriaville, à deux heures de route de Montréal, au centre du Québec. Plus jeune, le métier de ses parents lui avait surtout valu des railleries dans la cour d’école.
«C’était toujours un peu les mêmes blagues que tout le monde faisait, dit Alain Dumont. C’est un domaine très, très tabou et les gens ont à peu près mille questions. Même si tu veux rester incognito, c’est bien, bien difficile.»
C’est donc en comptabilité qu’Alain Dumont commence sa carrière. Mais son père le convainc finalement en 1989 de rejoindre le groupe familial, maintenant appelé Victoriaville & Co., en lui demandant de finaliser l’acquisition d’un compétiteur qui avait fait faillite.
L’arrivée d’Alain Dumont déclenche une petite révolution dans l’entreprise familiale. Très vite, le jeune comptable agréé de 29 ans réussit à augmenter substantiellement ses parts de marchés au Québec et aux États-Unis. De plus, l’entreprise, qui fabriquait exclusivement des cercueils de bois, élargit sa gamme de produits aux contenants de crémation, aux urnes, aux bijoux et aux cartes funéraires.
Ces changements et plusieurs autres ont permis à cette PME de se positionner comme la plus importante entreprise familiale d’Amérique du Nord à œuvrer dans le secteur des produits funéraires. Fleuron industriel de la région, Victoriaville & Co. emploie plus de 425 personnes et exporte ses produits dans dix pays, principalement aux États-Unis, en Angleterre et en Australie.
Un désastre qui mène au changement
Ces succès sont d’autant plus remarquables que l’entreprise passe près de disparaître lorsqu’un incendie la détruit partiellement en 1997. L’intervention rapide des services d’urgence permet heureusement d’épargner une partie du complexe manufacturier, mais Alain Dumont et son père doivent néanmoins relancer les opérations le plus rapidement possible.
Dès le lendemain, le personnel et des gens de la région se mobilisent de façon inédite. L’entreprise arrive finalement à redémarrer ses opérations deux jours après le désastre, un véritable exploit qui déclenche une réflexion de fond chez Alain Dumont.
«Quand il arrive un malheur comme ça, tout le monde a un objectif commun, explique Alain Dumont. Mais, comme propriétaire d’entreprise, comment peut-on aller rechercher cette motivation-là, cette mobilisation-là de notre personnel dans une situation normale, sans passer au feu?»
Alain Dumont conclut qu’un changement de culture d’entreprise est nécessaire pour mener à bien la reconstruction de l’usine à un coût de 25 millions de dollars. L’accent est dorénavant mis sur la communication avec le personnel. L’entrepreneur met aussi de l’avant une nouvelle vision pour l’avenir de l’entreprise afin de bien rallier son personnel autour d’un objectif commun.
«On dit qu’on fabrique l’hommage d’une vie. C’est vraiment cet aspect-là qui, encore aujourd’hui, alimente toute notre passion», dit le président chez Victoriaville & Co.
Les opérations se diversifient également. Alors que son père s’était concentré principalement sur la fabrication, Alain Dumont prend en main la distribution et la vente des produits auprès de sa clientèle, composée principalement de propriétaires de maisons funéraires.
«Je me disais que si on voulait être encore en affaires dans 25 ans, il fallait avoir le contact direct avec notre clientèle le plus possible», explique l’entrepreneur.
3 conseils pour innover dans une industrie traditionnelle
1. Restez à l’écoute de votre clientèle
Alain Dumont affirme qu’un contact régulier avec sa clientèle lui permet de rester à l’affût des nouvelles tendances du marché et de mieux y répondre.
«C’est sûr que c’est de l’or en barre pour nous pour s’assurer qu’on a la bonne façon de voir le marché et qu’on puisse y répondre adéquatement», dit Alain Dumont.
2. Instaurez une culture d’amélioration continue
L’entreprise a profité de la reconstruction de l’usine suite à l’incendie pour mettre en place une culture d’amélioration continue reposant sur la communication avec le personnel et un souci constant d’améliorer la qualité et l’efficacité de sa production. Victoriaville & Co. fabrique maintenant un cercueil chaque 2 minutes 30 secondes.
«On travaille beaucoup sur notre efficacité et comment on peut s’améliorer, comment on peut donner un meilleur produit à moindre coût. C’est notre défi de tous les jours.»
3. N’ayez pas peur du changement
Alain Dumont est conscient des accomplissements de sa famille avant lui et il s’en sert comme base pour réinventer l’entreprise et bâtir son avenir.
«Je dis toujours à mon fils: “Si tu gères l’entreprise de la même façon que je l’ai fait, c’est sûr que ça ne fonctionnera pas.” Tout a changé autour de nous, donc il faut garder les mêmes valeurs et objectifs, mais les façons de faire, il faut qu’elles changent.»
Moderniser une entreprise centenaire
Les origines de Victoriaville & Co. remontent à 1907, avec la création d’un moulin à scie à Victoriaville. La Deuxième Guerre mondiale oblige l’entreprise à trouver de nouveaux débouchés. Elle s’essaie d’abord à la production de meubles, mais trouve finalement son créneau dans la fabrication de cercueils.
C’est en 1939 que la famille Dumont devient officiellement associée à l’entreprise. Les Dumont ont réussi trois transferts intergénérationnels, quelque chose d’assez rare. Cette famille a aussi su répondre avec brio à la compétition accrue de grandes entreprises étrangères.
«Ça me choque de voir que, du moment qu’une entreprise devient importante, qu’on ait toujours le réflexe de vendre aux État-Unis ou à d’autres intérêts étrangers», dit Alain Dumont.
Mais l’avenir n’est pas sans embûches. Les taux de crémation augmentent alors que les cercueils sont associés dans l’esprit de plusieurs à de vieilles coutumes. Malgré tout, Alain Dumont reste convaincu que les rites traditionnels peuvent aider à mieux vivre le deuil. Il fait d’ailleurs beaucoup d’efforts avec sa clientèle pour faire entrer les rites funéraires traditionnels dans la modernité.
«On passe beaucoup, beaucoup de temps à jaser avec notre clientèle qui sont les maisons funéraires, pour comprendre leurs besoins, pour essayer d’être proactifs… parce qu’on se bat contre des multinationales qui ont des moyens beaucoup plus importants que les nôtres», explique l’entrepreneur.
Le regard tourné vers l’avenir
Avec toutes ces initiatives, Alain Dumont cherche à léguer une entreprise en santé à son fils pour le transfert à la quatrième génération.
C’est en partie avec cet objectif en tête qu’Alain Dumont a entrepris le Programme direction croissance de BDC. Ce programme de deux ans l’a épaulé pour mener à bien une réflexion stratégique sur la stratégie de croissance de l’entreprise. Il a aussi permis à son fils de rencontrer d’autres cheffes et chefs d’entreprise pour peaufiner ses compétences en gestion.
«C’est bien important que l’entreprise demeure familiale, puis que mon fils ait tous les outils qu’il lui faut pour avoir du succès dans le futur», dit Alain Dumont.
«Quand on a passé au feu, on aurait pu aussi dire: “On arrête ça là, puis on vend.” On est une famille d’entrepreneures et entrepreneurs, on veut le rester le plus longtemps possible.»