Perspectives économiques 2023: Matière à prudence, mais pas de panique
Lecture de 8 minutes
En 2022, la question sur toutes les lèvres est rapidement passée de «est-ce la fin de la pandémie?» à «sommes-nous en récession?». La réponse est simple: le Canada n’est toujours pas en récession.
Malgré les sombres perspectives économiques des derniers mois, l’économie canadienne peut encore éviter cette fatalité. L’année 2023 sera toutefois marquée par une croissance en deçà du potentiel de l’économie ainsi que par beaucoup d’incertitude.
Le ralentissement s’avère nécessaire pour contrecarrer l’inflation, car le risque d’en faire trop peu pour la contenir l’emporte sur celui d’en faire trop, trop vite.
Statistiques clés pour 2023
Croissance du PIB canadien
0,5 %
Pic du taux directeur (taux d’intérêt)
4,5 %
Croissance attendue des salaires
4 %
L’héritage d’une année agitée
Il est maintenant clair que 2022 a constitué un tournant pour l’environnement économique mondial. La guerre en Ukraine, les sanctions qui en ont résulté pour la Russie et un fort ralentissement en Chine ont pesé sur la croissance mondiale des 12 derniers mois.
Un durcissement des conditions monétaires engendré par la hausse des taux d’intérêt des banques centrales pour faire baisser l'inflation a aussi nui à la croissance un peu partout sur le globe.
L’économie européenne a subi un sérieux revers en raison de l’invasion de l’Ukraine à la fin de février 2022 et elle est encore aujourd’hui confrontée à une crise énergétique d’envergure.
Aux États-Unis, le pessimisme et la prudence des ménages face à l’inflation élevée, aux hausses de taux d’intérêt et au repli du marché boursier ont fait reculer le PIB au cours des deux premiers trimestres, mais un rebond en seconde moitié d’année a permis de compenser ces pertes.
Au Canada, l’économie s’est montrée résiliente malgré ces enjeux mondiaux. La croissance a été soutenue par:
- une forte reprise du marché du travail
- l'épargne des ménages
- les prix élevés des produits de base
- l'augmentation des investissements des entreprises
- la demande déchaînée pour les services après la fin des restrictions liées à la COVID
Nous estimons que la croissance du PIB a été de 3,5 % en 2022.
Que peut-on attendre en 2023?
Qu’il y ait ou non une récession, un consensus ressort des perspectives économiques pour 2023: l’économie va ralentir.
La source du ralentissement est la lutte à l’inflation menée de front par la Banque du Canada pour contrer une économie en surchauffe. Toutefois, il reste beaucoup d’incertitude entourant la portée qu’aura le resserrement de la politique monétaire dans le contexte actuel.
La recette pour ramener l’inflation à sa cible semble simple sur papier: la demande doit suffisamment ralentir pour que l’offre puisse y répondre. Résultat: nous estimons que la croissance du PIB en 2023-24 sera inférieure à son potentiel de 2,0 % évalué par la Banque du Canada.
Ménages et entreprises se montreront prudents
Les dépenses des ménages sont le principal moteur de croissance au Canada. Si la consommation est habituellement responsable d’environ 60 % de la croissance, nous estimons qu’elle a représenté environ 80 % de celle du PIB en 2022.
Pendant un ralentissement économique, par peur d’être mises à pied, les personnes en emploi auront tendance à dépenser moins et à épargner davantage. D’ailleurs, même si l’épargne des ménages a ralenti par rapport à son sommet de 2020, elle était toujours nettement plus élevée qu’avant la pandémie.
La hausse des taux d’intérêt aura fait baisser les prix des actions et des résidences, qui devraient continuer à fléchir en 2023. La baisse du prix des actifs aura un effet négatif sur les dépenses de consommation alors que le boom de la réouverture postpandémie continuera de s’atténuer. Tous ces facteurs se traduiront par un ralentissement des dépenses de consommation.
Ce ralentissement se répercutera sur les ventes des entreprises, et le premier trimestre de l’année s’avérera déterminant. Une baisse plus accentuée de leurs activités pourrait amener les entreprises à revoir leurs projets d’investissement.
Inflation: l’espoir et la patience sont au menu
Il y a de la lumière au bout du tunnel en matière d’inflation. Mais le chemin est encore long. La Banque du Canada a relevé son taux directeur de 400 points de base en 2022 et l’inflation ralentit depuis juin.
Le taux directeur s’élève présentement à 4,25 %. Nous pensons qu’il faudra attendre le premier trimestre de l’année avant que la banque centrale prenne une pause et laisse le temps aux hausses passées d’avoir leur plein impact dans l’économie.
La banque centrale pourrait commencer à abaisser les taux pendant la nouvelle année. Toutefois, il faudra patienter encore 18 mois avant un retour au taux neutre de 2,5 %.
Un marché du travail qui se rééquilibrera lentement
Typiquement, un ralentissement économique s’accompagne d’une hausse du taux de chômage. Les mises à pied gagnent de l’ampleur alors que les entreprises réduisent la production.
Or, dans le contexte actuel de pénuries de main-d’œuvre, la contraction devrait davantage se traduire par une baisse des heures travaillées et un ralentissement des embauches. Le manque d’effectifs touche encore beaucoup d’entreprises. Le Canada comptait toujours environ un million de postes vacants en septembre.
Comme il existe des enjeux d’adéquation entre les compétences de la main-d’œuvre disponible et les besoins des entreprises, ça ne signifie pas non plus que les mises à pied seront nulles ou que les problèmes de rareté de main-d’œuvre disparaîtront en 2023. L’effet du ralentissement sur le marché du travail sera simplement moins prononcé que lors de périodes de ralentissement similaires.
Pas de récession, mais une économie au neutre
Il y a un chemin possible vers un atterrissage en douceur qui dépend d’un calibrage approprié de la politique monétaire.
Nous nous attendons davantage à une stagnation de la croissance économique qu’à une contraction, puisque l’économie repose encore sur des bases solides.
Le ralentissement sera plus marqué en matière d’investissement résidentiel et de consommation de biens. Les prix de l’énergie et des denrées alimentaires continueront également à gruger une part significative des revenus des ménages, et l’engouement pour les services s’estompera davantage à mesure que l’année avancera. Le dollar canadien restera relativement faible par rapport à la devise américaine, ce qui favorisera les exportations au détriment des importations.
Au final, puisque le ralentissement découle du resserrement de la politique monétaire, le Canada est davantage en mesure d’en contrôler le dénouement, contrairement à un ralentissement qui serait engendré par un choc externe.
Les matières premières en renfort pour certaines provinces
Le ralentissement se fera sentir d’un océan à l’autre, mais son ampleur différera entre les régions. Les économies tributaires d’industries sensibles aux hausses des taux d’intérêt – comme les secteurs de l’immobilier résidentiel, de la construction et de la vente de biens durables – pourraient être les premières à ressentir l’effet de la lutte à l’inflation. C’est notamment le cas de l’Ontario et de la Colombie-Britannique.
Les provinces dont l’activité économique repose davantage sur l’industrie manufacturière seront plus concernées par le ralentissement américain. Un ralentissement plus sévère qu’anticipé au sud de la frontière pèse sur les perspectives du centre du Canada (Québec et Ontario).
À l’image de 2022, les grandes gagnantes de 2023 – relativement aux autres provinces – seront les provinces productrices de matières premières, menées par la Saskatchewan qui bénéficiera encore de la forte demande mondiale pour les produits agricoles et les fertilisants. Malgré le ralentissement mondial, l’Alberta et Terre-Neuve continueront également de jouir des prix toujours élevés du pétrole.
Le Manitoba a l’économie la plus diversifiée du Canada, ce qui rend la province typiquement moins dépendante de la conjoncture économique.
Les provinces maritimes verront le ralentissement en partie tempéré par l’accroissement de leur population et par le dynamisme de l’industrie des pêches et de la transformation alimentaire. Elles enregistreront tout de même des taux de croissance parmi les plus faibles au pays.
Les défis pour les propriétaires d’entreprises en 2023
Bien que l’incertitude économique demeure une préoccupation importante, ce sont principalement les pénuries de main-d’œuvre qui entravent la réussite des entreprises.
À mesure que l'économie ralentit et que l'immigration reprend, les pénuries de main-d'œuvre devraient s'atténuer à court terme. Cependant, la population vieillit et il existe un décalage entre les compétences des travailleuses et travailleurs disponibles et les besoins des industries et des provinces. Par conséquent, les pénuries de main-d'œuvre continueront d'être un défi pour de nombreuses entreprises.
Les pénuries auront également une incidence sur les salaires. Ces derniers ont connu une croissance fulgurante en 2022 et tout porte à croire qu’ils augmenteront encore davantage en 2023. Nous prévoyons une croissance des salaires de 4 % en moyenne en 2023, ce qui est bien supérieur à la tendance prépandémie de 2,7 %. Il faut dire que les attentes d'inflation future exercent aussi une pression à la hausse sur les salaires.
D’autres facteurs ont pesé lourd sur les coûts des entreprises durant la dernière année. Les goulots d’étranglement ont notamment affecté les chaînes d’approvisionnement, mais ces pressions se sont atténuées en 2022. Plusieurs entreprises ont diversifié leurs sources d’approvisionnement et ont accru leurs capacités de stockage. Les stocks commencent déjà à s’accumuler dans les entrepôts et les entreprises devront continuer à s’adapter à l’évolution de la demande pour balancer adéquatement leurs offres devant une demande au ralenti.
Malgré ces défis, les entreprises canadiennes sont en bonne posture pour affronter le ralentissement de 2023. Nos sondages montrent que 88 % d’entre elles étaient rentables en octobre tandis que 69 % des PME disaient être bien préparées pour affronter un ralentissement économique ou une récession.
L’heure n’est donc pas à la panique, mais bien à la prudence. Les consommatrices et consommateurs demeurent en bonne santé financière et devraient nous permettre de naviguer ce ralentissement jusqu’au retour en terrain plus favorable à la croissance.