Une approche résolument axée sur le produit: une entrepreneure technologique en série nous livre ses secrets
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Dès l’adolescence, Carol Leaman savait qu’elle voudrait un jour diriger sa propre entreprise. Mais son rêve ne s’est pas réalisé tout de suite.
Devenue comptable professionnelle agréée, elle a travaillé dans diverses entreprises pendant une dizaine d’années. Elle commençait à penser qu’elle resterait employée jusqu’à la fin de sa carrière.
Puis, un jour, le chef de la direction de l’entreprise où elle travaillait a remis sa démission, et le conseil d’administration lui a proposé de prendre sa succession. Elle allait alors transformer l’entreprise en une société de plusieurs millions de dollars, prouesse qu’elle répéterait avec quatre entreprises technologiques en démarrage.
Sur la corde raide
Le métier de propriétaire d’entreprise, c’est beaucoup de plaisir, résume Carol Leaman. On est toujours sur le fil du rasoir... on ressent à la fois la peur de l’échec et une irrésistible envie de réussir. C’est comme une drogue dont on ne voudrait jamais se passer. Je savais que c’était la voie que je devais suivre.
Son plus récent projet se nomme «Axonify». Il s’agit d’une société en pleine croissance située à Waterloo, en Ontario, qui s’appuie sur la mécanique des jeux vidéo pour offrir des programmes de formation d’entreprise d’une grande efficacité. Axonify ne comptait que deux personnes dans son équipe lorsque Carol Leaman en a fait l’acquisition avec un partenaire en 2011. L’entreprise emploie maintenant 140 personnes et génère un chiffre d’affaires annuel de 21 millions de dollars. Elle compte parmi sa clientèle des entreprises aussi prestigieuses que Walmart, Toyota et Bloomingdale’s.
Carol Leaman a été nommée parmi les 100 plus importantes femmes d’affaires canadiennes en 2016, et elle écrit régulièrement pour le magazine Fortune. Elle a reçu de nombreuses récompenses, notamment le prix Sara Kirke de l’entrepreneuriat féminin canadien qui lui a été décerné en 2010.
Trop peu de femmes parmi les propriétaires d’entreprise technologique
Malheureusement, les réussites féminines comme celle de Carol Leaman sont rares dans le secteur technologique canadien. Au Canada, seulement 10 % des entreprises financées par du capital de risque sont fondées par des femmes, et les femmes constituent à peine 8 % des membres des conseils d’administration d’entreprises soutenues par du capital de risque, selon une analyse des données de Pitchbook réalisée par BDC en 2015.
Le problème tient en partie au fait que les femmes ont souvent du mal à trouver le soutien et le mentorat nécessaires, selon Michelle Scarborough, directrice générale, Investissements stratégiques et femmes en technologie à BDC.
Michelle Scarborough dirige le nouveau Fonds pour les femmes en technologie de BDC, le plus important fonds de capital de risque (CR) au monde qui se consacre uniquement aux entreprises technologiques dirigées par des femmes. Elle collabore également avec les entreprises en portefeuille et des fonds de CR pour offrir un meilleur soutien aux femmes fondatrices d’entreprises.
«Grâce à des modèles comme Carol et à un intérêt grandissant pour les technologies, de plus en plus de femmes se lancent dans une carrière dans le domaine technologique», affirme Michelle Scarborough.
Les femmes sont à la tête de la direction de 13 % des entreprises du portefeuille de CR de BDC Capital, et Carol Leaman en fait partie. BDC Capital a participé à deux rondes de financement pour Axonify.
Miser sur des produits gagnants
La clé de la réussite pour Carol Leaman réside dans sa détermination à concevoir des produits qui ont un fort potentiel commercial. Elle a en fait l’expérience très tôt lorsqu’un groupe d’investisseuses et investisseurs en capital-investissement lui a demandé de prendre la tête d’une entreprise technologique qui stagnait.
Après avoir accepté l’offre, elle a souhaité prendre connaissance des états financiers et s’est rapidement aperçue que l’entreprise était mal en point. Il ne restait même plus assez de liquidités pour payer les salaires de la semaine en cours. Elle a fini par utiliser sa ligne de crédit personnelle pour avancer les 75 000 $ manquants. «Chaque semaine, je découvrais un autre squelette dans les placards de l’entreprise ou un problème majeur à régler», se souvient Carol Leaman.
Mais Carol Leaman a tenu bon. En plus de repenser le produit pour l’adapter aux attentes du marché, elle a renouvelé la clientèle et trouvé des solutions à ses problèmes puis remodelé l’équipe. Et sa stratégie a fonctionné. Le groupe d’investisseuses et investisseurs est finalement parvenu à vendre l’entreprise à un acheteur stratégique.
De cette expérience, Carol Leaman a tiré de précieux enseignements qu’elle continue d’appliquer aujourd’hui encore. Avant tout, il est primordial d’analyser avec précision la rentabilité d’un projet ou d’un produit. «Qui voudra acheter ce produit? À quel prix? Quelle est la taille du marché? Combien y a-t-il d’acheteuses et acheteurs dans chaque segment? Je vais vraiment dans le détail.»
S’entourer d’une équipe de choix
Carol Leaman croit fermement que la réussite passe aussi par la création d’une équipe solide à laquelle on donne les outils et la liberté nécessaires pour exceller. C’est une leçon qu’elle a apprise au début de sa carrière lorsqu’elle travaillait pour un homme qu’elle qualifie de «patron tyrannique». «Chaque jour était une véritable épreuve», se rappelle l’entrepreneure. Elle ne voulait pas que son personnel évolue dans ce genre d’environnement.
«J’aime que les gens puissent développer tout leur potentiel dans le rôle qu’on leur confie, dit Carol Leaman. C’est tellement stimulant de leur donner des défis à relever et de les voir réussir. J’aime transmettre cet enthousiasme aux personnes autour de moi. Je veux qu’elles se sentent pleinement autonomes et qu’elles n’aient pas peur de prendre des risques. Lorsque vous leur donnez cette liberté, elles parviennent à surmonter tous les obstacles.»
L’expérience qu’elle a vécue avec ce patron qui maltraitait son personnel a permis à Carol Leaman de se construire une carapace, qui l’a aidée à faire sa place dans un monde des affaires dominé par les hommes.
L’entrepreneure n’a jamais été personnellement victime de discrimination, mais elle sait que de nombreuses femmes dans le secteur n’ont pas eu cette chance. «Beaucoup de jeunes femmes d’affaires me font part de la discrimination dont elles font l’objet et du manque de respect à leur égard, explique Carol Leaman. C’est vraiment navrant d’entendre ces témoignages.»
Développer des réseaux et persévérer
Carol Leaman recommande aux entrepreneures d’établir des réseaux de mentorat. Pour ce faire, elles peuvent participer à des événements d’affaires, notamment à ceux qui s’adressent aux entreprises en démarrage. «Vous devez vous faire connaître», insiste Carol Leaman.
Autre conseil: n’hésitez pas à solliciter les propriétaires d’entreprise prospères de votre secteur, car elles et ils pourront vous donner des conseils ou vous aider à trouver des ressources. «La plupart du temps, les personnes avec lesquelles vous souhaitez entrer en contact sont disposées à vous parler, précise l’entrepreneure. En général, les gens sont prêts à vous aider. Je reçois des appels de cinq ou six propriétaires d’entreprise chaque mois. J’accepte toujours de m’entretenir avec elles et eux pour essayer de les orienter dans la bonne direction.»
Carol Leaman donne un dernier conseil: n’abandonnez pas. «Vous devez persévérer et ne pas vous décourager, dit l’entrepreneure. Les refus font partie du jeu, que vous soyez une femme ou un homme. N’en faites pas une affaire personnelle. Si votre idée est bonne, le financement sera au rendez-vous.»