Utiliser l’approche systémique aux fins d’une rentabilité durable
Que diriez-vous de contribuer à sauver le monde avec votre entreprise tout en améliorant considérablement sa rentabilité? C’est la promesse de l’approche novatrice en matière de développement durable que l’on appelle la pensée systémique. Elle offre la possibilité de transformer des projets écologiques en occasions lucratives.
«Selon nous, si vous voulez améliorer la performance de votre entreprise en matière de développement durable, vous devriez trouver la façon la plus lucrative d’y parvenir, explique Bruce Taylor, ingénieur chimiste et chef de la direction d’Enviro-Stewards, une entreprise certifiée B Corp qui offre des conseils en matière de développement durable aux entreprises. Pour ce faire, vous devrez optimiser l’efficacité au sein de votre entreprise.»
M. Taylor explique que grâce à l’approche systémique, le rendement annuel moyen des investissements de sa clientèle dans le développement durable atteint 100 %. Ces efforts combinés ont permis de réduire la production d’émissions de gaz à effet de serre de 245 000 tonnes et la production de déchets, de 102 000 tonnes.
Parmi sa clientèle, M. Taylor compte Maple Leaf Foods, qu’il a aidée à devenir la première grande entreprise alimentaire au monde à atteindre la carboneutralité tout en haussant sa marge bénéficiaire nette.
M. Taylor affirme que les projets de développement durable habituels, comme le passage aux véhicules électriques, la rénovation de bâtiments et l’énergie solaire, peuvent coûter jusqu’à 100 $ par tonne de gaz à effet de serre non généré.
Qu’est-ce que l’approche systémique?
L’approche systémique utilise les principes d’efficacité opérationnelle et de production à valeur ajoutée pour aider les entreprises à devenir plus écologiques en devenant plus performantes. Parfois appelée intégration des processus, cette approche repose sur quatre principes clés.
Les quatre principes de l’approche systémique
1. Examen de l’ensemble de l’entreprise
Selon la pensée systémique, il faut examiner la consommation d’énergie d’une entreprise dans son ensemble, plutôt que de se concentrer uniquement sur des éléments individuels de l’équipement ou des processus.
«En fait, quel que soit le système que vous étudiez, la proportion de ce que vous apprendrez sur celui-ci individuellement est d’environ 60 %, explique M. Taylor. Si vous voulez connaître les 40 % qui restent, vous devez étudier tous les autres systèmes avec lesquels il interagit.»
Exemple de l’approche systémique
Pensez à une entreprise qui utilise un système de chaudières pour chauffer son eau. Le rendement thermique de ce système s’élève à 80 % (autrement dit, 80 % de l’énergie est transférée à l’eau, tandis que le 20 % restant est perdu dans l’environnement). Une évaluation classique reposant sur les composantes pourrait proposer de remplacer la chaudière par un chauffe-eau à feu direct pour améliorer le rendement. Le rendement thermique pourrait alors atteindre 97 %.
En revanche, l’approche systémique se penche sur tous les systèmes de l’entreprise. L’un des objectifs de cette approche est de repérer ce que M. Taylor appelle des occasions de «jumelage». Il s’agit de trouver toutes les sources de chaleur et tous les puits thermiques dans les installations et de rediriger les sources de chaleur vers les puits thermiques.
«Si on redirige la chaleur du système de réfrigération pour préchauffer l’eau, on réalise un rendement pouvant atteindre 150 % tout en conservant l’ancienne chaudière. De plus, on économise sur le montant dépensé pour éliminer la chaleur du système de réfrigération», explique M. Taylor.
«C’est là la distinction entre regarder le système dans son ensemble plutôt que seulement ses composantes individuelles. Si l’on examine les composantes, il est vrai qu’un chauffe-eau est plus efficient qu’une chaudière. Par contre, si l’on regarde l’ensemble du système, ce n’est pas le cas.»
2. Priorisation de la conservation
L’approche systémique priorise les solutions axées sur la conservation. Cela signifie qu’il faut d’abord réduire la consommation et le gaspillage d’énergie avant de se concentrer sur un virage écologique pour l’énergie et les déchets qui restent.
«Tout le monde commence par le dernier kilomètre, affirme M. Taylor. "Allons-nous utiliser des panneaux solaires ou des crédits de carbone?" Ça, c’est le dernier kilomètre. Au premier kilomètre, il faut réduire la quantité d’énergie nécessaire. Commencez par conserver.»
Il donne des exemples:
- Une fournisseuse ou un fournisseur de pièces d’automobiles qui voulait atteindre la carboneutralité envisageait de passer à l’énergie géothermique. M. Taylor a commencé par mettre en place des mesures d’efficacité qui ont permis à l’entreprise de réduire de moitié ses pertes de chaleur. «Si vous récupérez cette chaleur, vous réduisez alors votre problème de moitié, dit-il. Si vous mettez ensuite en place la géothermie, elle sera deux fois moins importante et deux fois moins chère à exploiter.»
- Un établissement vinicole produisait tellement d’eaux usées qu’il accaparait la majeure partie de la capacité de traitement des eaux usées de la collectivité locale. Lorsqu’il a reçu l’ordre de traiter ses eaux usées, l’établissement vinicole a communiqué avec M. Taylor pour construire une usine de traitement. Il a commencé par trouver des moyens de réduire de moitié le volume des eaux usées et des deux tiers les pertes de vin. Grâce à la réduction des besoins en matière de traitement, le coût de l’usine de traitement est alors passé de 3 millions de dollars à 1,5 million de dollars.
3. Évaluation du coût réel du gaspillage
L’approche systémique accorde la priorité aux décisions en fonction du coût réel du gaspillage. De nombreuses entreprises ne tiennent compte que du coût d’élimination des déchets, mais ne tiennent pas compte du coût des matériaux jetés.
M. Taylor donne l’exemple d’une entreprise alimentaire qui jetait 13 tonnes de viande de poulet inutilisée par année. «On m’a répondu: "il nous en coûte 100 $ la tonne pour envoyer ces déchets à l’usine de valorisation énergétique, ce qui ne représente que 1 300 $ par année. Pourquoi nous faites-vous perdre notre temps à parler de cela?", affirme M. Taylor. En fait, il leur en coûtait 10 000 $ la tonne pour acheter ce poulet, plus 100 $ pour le détruire. On parle plutôt de 131 300 $.»
Les entreprises sont souvent surprises lorsqu’elles prennent conscience du véritable coût de leur gaspillage. «Les gens ne croient pas qu’il s’agit d’une tâche prioritaire, souligne M. Taylor. Elles et ils se disent que l’élimination des déchets est la facture la moins élevée de leur usine. Mais combien cela leur a-t-il coûté pour acheter ce qui se trouve dans la benne à ordures?»
4. Utilisation des méthodes d’efficacité opérationnelle
L’approche systémique repose sur l’efficacité opérationnelle, surtout sur les trois étapes de la production à valeur ajoutée:
- Aller sur le terrainFaites une visite physique de vos installations pour observer la façon dont le travail est effectué. C’est ce que les spécialistes en efficacité appellent la marche Gemba. L’objectif est de cerner les secteurs dans lesquels il y a un gaspillage d’efforts, de ressources et de temps.
- Se poser des questionsDemandez-vous pourquoi les processus ou les tâches sont réalisés d’une certaine manière, en les décomposant en toutes leurs tâches.
- Faire participer votre équipeIl est essentiel de faire participer les membres de votre personnel à l’évaluation des activités de l’entreprise, ainsi qu’à la planification et à la mise en œuvre des changements.
M. Taylor raconte une visite qu’il a faite dans une entreprise de protéines. Il a remarqué que l’entreprise déversait une grande quantité d’eau bouillante dans les égouts. On lui a alors expliqué qu’une machine de traitement du saindoux rejetait le saindoux ainsi que certains solides dans les égouts, et que sans le débit constant d’eau bouillante, le saindoux figeait dans les canalisations.
«Je comprends pourquoi vous versez de l’eau bouillante, mais pourquoi le saindoux est-il rejeté dans les égouts?», a demandé M. Taylor. Comme solution, il a recommandé à l’entreprise de retraiter le saindoux. «Ainsi, l’entreprise a pu vendre ce saindoux supplémentaire, n’a pas eu à payer pour des produits chimiques réagissant avec le saindoux, et n’avait plus besoin de toute cette eau ni de la faire bouillir. Enfin, l’entreprise n’avait plus à payer quelqu’un pour disposer de la boue.»
Au cours de la visite d’une usine d’une autre entreprise, M. Taylor s’est rendu compte qu’elle rejetait de l’eau chaude dans les égouts au coût de 70 000 $ par année. Lorsqu’il a demandé pourquoi cette eau chaude était rejetée, personne ne le savait au départ. Après creusé davantage, il a finalement obtenu une explication. Il s’agissait d’une solution de rechange pour une soupape de sûreté qui s’était brisée deux ans plus tôt. La soupape avait depuis été réparée, mais personne n’avait fermé l’eau chaude qui coulait dans les égouts.
Quelles sont les étapes de l’approche systémique?
Les spécialistes utilisent l’approche systémique de diverses façons. M. Taylor suit un processus dans lequel on doit répondre à cinq questions: qui, quoi, où, quand et comment.
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Qui – Déterminez d’abord toutes les parties prenantes susceptibles d’être touchées par les changements envisagés.
«Le changement ne pourra pas être mis en œuvre sans consensus et adhésion, affirme M. Taylor. Supposons que vous voulez modifier les pratiques d’hygiène ou la chaufferie. La personne responsable des services d’hygiène ou la personne chargée de l’entretien des chaudières doit faire partie de l’équipe.»
Les parties prenantes devraient participer dès la réunion de lancement jusqu’à la mise en œuvre et la mise en service.
- Quoi – Ensuite, déterminez ce qu’il faut faire. Cette étape comprend une visite (voir ci-dessus) et d’autres processus d’efficacité, comme l'analyse de Pareto (parfois appelée la loi des 80/20). C’est l’idée que 80 % des problèmes sont le produit de 20 % des facteurs.
- Pourquoi – Déterminez les causes fondamentales des problèmes. «Quel est le rôle de l’électricité pour notre entreprise? Quel est le rôle de l’eau? Ces mêmes tâches peuvent-elles être effectuées différemment?» Vous pouvez utiliser l'analyse des causes profondes ou les diagrammes d'Ishikawa (arêtes de poisson) pour cette étape.
Exemple de diagramme en arêtes de poisson (diagramme d’Ishikawa) de 5 M
- Quand – L’évaluation donne lieu à des idées de changement qui sont validées avec l’équipe des parties prenantes. Les changements sont évalués en fonction du rendement qu’ils sont susceptibles de générer pour l’entreprise. Les meilleures idées sont intégrées à un plan de mise en œuvre qui comprend un échéancier et la désignation des responsables de chaque initiative.
- Comment – La mise en œuvre exige un suivi et une surveillance réguliers permettant d’évaluer les progrès, de célébrer les réussites et de combler rapidement les lacunes. Une ou un spécialiste de l’extérieur peut soutenir la mise en œuvre en s’occupant de la conception technique, en présentant des demandes de financement, en assurant la gestion de projet et en effectuant des vérifications après la mise en œuvre.
Comment trouver et évaluer une ou un spécialiste de l’approche systémique?
Vous devrez peut-être modifier votre processus de recherche de fournisseuses et fournisseurs pour trouver une ou un spécialiste qui utilise l’approche systémique en matière de développement durable. Sa soumission ne sera probablement pas la plus basse. Cela s’explique par le fait que cette approche comporte généralement un processus d’évaluation et de recherche de solutions beaucoup plus approfondi qu’un simple audit du rendement énergétique ou du gaspillage.
Les coûts initiaux sont plus élevés, mais le rendement sera probablement plus élevé et le délai de récupération assez rapide, selon M. Taylor. Il suggère:
- d'obtenir des recommandations d’autres entreprises de votre secteur;
- de demander des références aux soumissionnaires et de leur poser des questions au sujet de leurs expériences, notamment sur les rendements et les délais de récupération;
- d'obtenir des renseignements sur le processus qui sera suivi (par exemple, si la ou le spécialiste examine l’ensemble des processus de l’entreprise, accorde la priorité à la réduction de l’énergie et des déchets, etc.).
Effectuer un audit peu coûteux entraîne souvent des dépenses plus élevées en fin de compte, car il peut négliger des occasions dont la rentabilité est nettement plus intéressante.
«Vous pouvez vous retrouver avec une solution coûteuse qui ne convient pas à votre entreprise, dit M. Taylor. Il arrive souvent que les spécialistes ne regardent que l’éclairage ou la ventilation, sans jamais demander: "Pourquoi ce processus se déroule-t-il ainsi?"»